Intervention de Dominique Geneste dans le cadre du séminaire : « Quand ça rate au travail » du G.R.A.A.M. du 16 mars 2010

PT’IT PIERRE : RÉFLEXION AUTOUR D’UN CAS D’INHIBITION, POUR ILLUSTRER L’APRAGMATISME.

Si on se réfère à la définition classique, l’apragmatisme renvoie à l’incapacité psychique à réaliser des actes courants  dont l’individu  a les moyens instrumentaux. Et sur un plan psychique, l’apragmatisme renvoie en général à la dépression.

Et c’est bien au final une forme de dépression que vit  la personne dont je vais présenter la vignette clinique.

Ce jeune homme est confronté à un conflit psychique tournant autour de la castration. Il reste bloqué dans  une position, qui est celle de son symptôme,  ici celui de l’attente.

Ici, dans ce cas clinque , le sujet (du désir de travail), ne s’engage pas,  ou ne bouge pas, dès lors que lui semble insurmontable le choix, la prise de décision, qui engage et signe le rapport à la castration.

Le risque (d’engagement) est vu ici comme l’équivalent symbolique de la castration.

 

Voici la vignette clinique,  d’une  personne dépressive sur fond hystérique.

Appelons le  Pierre.  Pierre ou l’attente de l’idéal. (Idéal du travail, travail idéal, l’idéal qui permet de tenir à distance la réalisation imaginaire du désir)

Pierre ou plutôt  « pt’it  Pierre. »

Dans ce cas, je creuserai seulement le rapport au père, pour rester centrée sur la question du travail, la position dépressive s’éclairerait davantage à  examiner le rapport à la mère.

Pourquoi pt’it Pierre ?Parce que Ce jeune homme de 35 ans est toujours nommé ainsi, par son père, en privé comme en public, avec une moue ironique,  qui manifeste ainsi clairement aux yeux des autres, qu’il ne parvient pas à  considérer son fils comme un « grand » , un homme .

Pierre décrit un père despotique,  qui n’admet pas d’autre point de vue que le sien, vit en dehors du corps social, ; n’a jamais vraiment travaillé, juste  quelques boulots épisodiques , (sans contacts,  pour être sur de ne rencontrer personne) et vit du RMI . Artiste qui n’a jamais fait d’œuvre, c’est un sculpteur qui, jeune,  a fait quelques essais, sans poursuivre. Il  a un projet d’oeuvre, toujours remis à plus tard…

Le travail, pour cet homme  ne représente qu’une contrainte, une façon de perdre sa vie. Et il ne supporte aucune contrainte, ni dans le travail, ni ailleurs. Ne s’est pas remarié après son divorce d’avec la mère de Pierre.

Si on aborde l’histoire familiale de Pierre : il a été élevé par ce père, qui a, d’une certaine façon choisi une femme abandonnique, a rapidement pris ses enfants,  leurs enfants avec lui en les enlevant quasiment  (Pierre et un frère  plus jeune).la mère a assumé matériellement pendant  leur enfance, cantonnée au rôle paternel de pourvoyeur d’argent.

Presque plus mère que père, cet homme a vécu pour ses enfants, en vase clos(quasiment aucun contact social), en les considérant un peu comme ses choses. Une relation fusionnelle.

Et pourtant  Pierre arrive à l’âge adulte en ayant l’impression que ses deux parents se fichent bien de lui.

Il a  quitté son père, vers 20ans. Celui-ci ne donne pas beaucoup de nouvelles, si le fils  ne va pas le voir, il ne se passe rien. Et les contacts avec la mère sont peu fréquents.

Par rapport au travail, Pierre  n’a pas passé son bac, a fait des essais de se remettre à niveau, va de formation en formation, comme menuisier,chauffeur  , il travaille très peu, juste de quoi survivre, en attendant de trouver le métier idéal, celui pour lequel il est » fait ».  Il parle plus de formations que de métiers, toujours tenté par une qui lui permettrait de découvrir ’ Le ‘ métier pour lequel il serait ‘ fait ‘

Et parle aussi très souvent de se reposer avant de travailler. Il déménage, ne s’installe pas en fait.

Il a beaucoup de livres, qu’il feuillette, intéressé par les sujets, mais n’arrive pas à en lire un en entier.

Il hésite entre la vie célibataire, et la vie de famille, le mariage, sans avoir une relation suivie avec une femme.

 

Pour appuyer l’hypothèse d’une position dépressive  sur fond hystérique, je vais vous donner quelques éléments  maintenant, ensuite j’aborderai le rapport au travail.

Dans le contact, Pierre est ouvert, avide de nouvelles rencontres, charmant, il a beaucoup d’amis et trouve des gens prêts à l’aider, lui-même disponible pour rendre service. Il a bien sûr traversé des périodes au cours desquelles il s’isolait, au plus fort de son découragement.

Son phrasé est particulier ; voix douce, plutôt lente, il laisse des silences fréquents entre les mots ;, ne termine pas ses phrases, , ce qui rend les dialogues difficiles. Il est un peu en retrait, s’isole fréquemment dans les réunions collectives, donne le sentiment d’être peu affirmé dans ses opinions.

Il est vêtu simplement, sans austérité. Rien de lisse et plutôt décontracté.

On relève le désir de plaire (être l’objet de l’autre), la personnalité non  figée, malléable en apparence,

Un fort besoin de reconnaissance et une souplesse dans le contact à l’autre.

Il est capable de s’animer en terrain connu, de se révéler boute en train.

Enfin il  a la fraîcheur et la spontanéité d’un enfant.

 

En conclusion sur la structure, Il y a à la fois  le désir d’être l’objet de l’autre de l’hystérique, et la position de retrait soulignant  la faiblesse narcissique, dans le ne pas oser se confronter au retour de l’autre .Et bien sur je m’appuie sur l’histoire de Pierre, qui nous montre ( je n’ai pas détaillé ici ), les moments d’arrêts et d’abandons dans ses liens sociaux et affectifs, et dans ses pérégrinations de travail. Le désir d’insatisfaction de l’hystérique cohabite avec  les lâchages dépressifs.

 

Comment éclairer maintenant le  rapport à la dette paternelle, qui  se manifeste par cette conduite apragmatique ?

Remarque : C’est un apragmatisme partiel, il n’est pas total, il se manifeste au moment précis de l’engagement.  Pierre ose commencer mais  pas poursuivre.

Ici on a un père castrateur, terrifiant, et un narcissisme fragile .Pierre n’a pu se risquer à affronter le père  trop puissant(symboliquement), trop présent dans le réel , déniant toute individualité au fils, réduit à rester « petit » par rapport au  père .dans les deux images ; le père  symbolique  et le père réel , on a peut être un collage . Il ne se produit  pas d’écart entre le père réel et le père symbolique. Et petit Pierre ne peut affronter la castration, la prise de risque, l’engagement dans le travail.

Pierre  reste bloqué dans l’imaginaire. Le père imaginaire d’ailleurs est valorisé ; artiste, créateur, libre, indépendant…

Dans l’imaginaire le travail devient idéal (donc inatteignable), et ce travail doit rester idéal, ce qui permet à Pierre de ne rien affronter,et ce faisant  rien perdre, comme s’il avait trop à risquer de tenter l’aventure de l’engagement dans un seul travail banal, banalisé …Alors il attend….

Par : Dominique Geneste

Le : 16 mars 2010