Intervention dans le cadre du séminaire G.R.A.A.M. de décembre 2008

Quelques analyses, réflexions et questionnements.

Suite à la lecture du dossier « Malaise au travail » de la revue « Sciences Humaines » (les grands dossiers n°12), je vous propose de partager quelques questionnements. Cette intervention se présente sous la forme d’une synthèse des principaux articles de la revue agrémentée de questions et commentaires (en italique dans le texte ci-dessous).

Il s’agira essentiellement de se questionner sur les points suivants : A quoi peut aider l’accompagnement fondamental (l’AF) par rapport à la souffrance au travail en tenant compte de ce qui est dû à la personne, ce qui est dû à l’organisation, ce qui est dû à l’évolution de la société et peut-être même à l’évolution concomitante des structures psychiques…

Quelles questions se posent en ce qui concerne la relation tri-partite.

 

Dans ce qui est dû à l’organisation on trouve essentiellement :

1.Les dysfonctionnement de l’organisation plus ou moins normaux (cf. article « l’aveuglement organisationnel » et la notion de feuilletage organisationnel : cercles avec partage des même principes de justice et les notions d’échelles que s’attribuent les cercles les une vis-à-vis des autres)

  • Ici ce sont plutôt des missions de conseil / audit ou coaching d’équipes qui seraient le plus appropriées. Mais l’AF peut, aussi aider la personne accompagnée à reconnaître ces différents cercles et à se situer par rapport à eux ; à dissocier ce qui vient du système et ce qui vient d’elle-même et en quoi le dysfonctionnement fait éventuellement écho à sa propre histoire ; à identifier le rôle qu’elle joue plus ou moins inconsciemment dans le maintien ou non du système.

2.Les « doubles messages » entendus comme contradictoires : valeurs humaines affichées et logique de profit à court terme ; valeurs affichées en contradiction avec la réalité du terrain; managers du top management qui ne donnent pas l’exemple…

  • Les mêmes remarques que précédemment s’appliquent ici.
  • Il faut noter que ce qui provoque de la souffrance découle surtout du « non-dit », et particulièrement quand ce « non-dit » entendu dans l’imaginaire vient contredire ce qui est dit.
  • Dans le cas d’organisations vraiment perverses, il peut y avoir une tentative manipulatrice plus ou moins consciente de l’organisation vis-à-vis du « coach ». Il nous appartiendra alors de l’identifier et de la traiter.

3.Tout ce qui génère une pression accrue sur les personnes (en lien également avec l’évolution de la société) :

  • l’accélération des changements
  • la course à la performance
  • l’augmentation des exigences
  • l’individualisation des évaluations
  • la complexification des organisations (organisations matricielles…)

Quelques remarques là-dessus  en dehors de l’augmentation évidente du stress générateur de souffrance on peut noter :

D’une part, que la priorité donnée au «il faut que ça tourne» va souvent de pair avec une perte de la reconnaissance individuelle.

Là l’AF pourra probablement aider la personne à décrypter ce qu’il se passe pour elle et ce qu’elle attend symboliquement de l’organisation, que représente pour elle cette « reconnaissance » qu’elle attend ?…

D’autre part, on peut se demander s’il ne se produit pas un effet de type «cercle pervers» («cercle vicieux pervers»), un peu comme le décrit Christophe Dejours dans «Souffrance en France»:

Souffrance => Essai d’y remédier par un mécanisme de défense   =>(déni / honte de la souffrance voire « aides » diverses de « bien-être » ou gestion du stress…)

Augmentation de la pression/souffrance acceptée pour soi et pour les autres.

L’AF pourra probablement aider à décrypter avec la personne ces mécanismes de défense qui prendront probablement différentes formes selon la structure de la personne.

Là également pourront être ravivées des souffrances plus anciennes ou des conflits non résolus (ex : cas d’une femme qui me parle dès la première séance de la pression que lui mettait son père sur les études et de son conflit interne entre « faire bien, être parfaite en liaison avec l’injonction parentale » et une impression de ne pas être libre de choisir, d’être incapable d’être créative, tout en étant attirée par tout ce qui est artistique, peur de prendre des décisions, besoin d’un cadre rassurant…)

Mais n’y a-t-il pas un risque à nous même participer à l’augmentation des mécanismes de défense, c’est-à-dire à aider à mieux supporter la souffrance et donc à favoriser le « cercle vicieux pervers » ?

On peut également noter la perte de repères et d’identité (déstabilisatrice pour le sujet) générée par la culture du « changement » où l’histoire est perçue souvent négativement comme  « ce qui doit être oublié pour aller de l’avant ». Les personnes se retrouvent perdues dans une entreprise où elles ne savent pas d’où « on » vient et parfois même pas où « on » va (ni comment et pourquoi) quand les objectifs et le cadre sont fluctuants. (L’entreprise devient impersonnelle, le « nous » se transforme en « on », il n’y a plus d’histoire et de projet d’équipe) : l’AF doit-il alors consister en partie à retravailler sur l’histoire et les projets d’équipe ?

Ce qui est dû à l’évolution de la société et peut-être aussi à l’évolution des structures psychiques :

On peut constater une évolution générale dans les entreprises qui tend vers une plus grande autonomisation demandée à chaque niveau (et en particulier au niveau des managers) voire même attendue par les personnes (mais cette attente vient-elle vraiment des personnes?: cf. ci-dessous grande majorité constatée).

Parallèlement on peut constater une diminution factuelle de l’autonomie de ces mêmes personnes due aux changements perpétuels. Les personnes sont confrontées à une perte de repères, un cadre fluctuant, voire inexistant (en lien également avec la complexification des organisation vue plus haut, ou aux doubles messages…). Certaines personnes vont du coup se sentir de plus en plus seules et perdues en même temps, avec une injonction d’autonomie de plus en plus difficile à assumer.

Dans le même ordre d’idée la modularité poussée à l’extrême – qui va se traduire concrètement par, par exemple, la suppression des bureaux fixes, la généralisation des « open-spaces »…dans une ambiance où tout est ouvert, tout le monde peut changer de rôle, de place… ambiance à la limite de l’incestuel – va aussi dans le sens de la perte de repère, de cadre et qui a aussi pour conséquence, souvent, que les personnes se vivent comme les « pions » de l’entreprise. Le travail devient un échange court terme…ce n’est plus une famille stable. Or l’entreprise ne jouait-elle pas ce rôle symbolique de famille pour la plupart des personnes ? Et d’autant plus dans une société où la notion de famille est de moins en moins présente dans les familles réelles.

Là encore en quoi l’AF peut-il aider ? Peut-être à faire le deuil de l’entreprise comme parent symbolique ? A repérer ce que l’on attend des ces parents symboliques…

Pour aller plus loin en ce qui concerne l’autonomisation, l’insatisfaction des personnes augmente d’autant plus que celles-ci peuvent avoir des attentes imaginaires encouragées par le discours ambiant de plus en plus déconnectées du réel : tout le monde veut (et doit) se réaliser, être autonome, dans une ambiance où le culte de la performance, de l’excellence, de la réalisation de soi prime. L’idéal du moi tend à se transformer en moi idéal dans un fantasme de toute puissance généralisé. Du coup ne serait-ce pas la société toute entière qui tient le rôle du père symbolique ? D’autant plus volontiers si les pères réels sont placés en pères défaillants dans le regard des mères (ce qui me semble être une tendance actuelle…).  Du coup lors du retour au réel la chute est d’autant plus sévère, plus rien ne tient…

 

Ceci nous amène à parler de l’évolution des « structures » psychiques :

Un certain nombre de psychiatres et psychanalyste indiquent qu’ils ont repérés dans leurs patients une augmentation significative du nombre de structures de type narcissiques ou états limites.

Ces personnes ont généralement des difficultés à élaborer, les évènements sont vécus de façon plus impulsive, le stress est difficile à analyser, il peut même plutôt être motivant car donner une impression d’exister. Du coup ces personnes peuvent d’une part se mettre en danger car justement il n’y a pas de limites et également alimenter le « cercle vicieux pervers » évoqué plus haut car ils sont généralement « hyper-adaptés ».

Dans un des articles consacré aux suicides, il est dit « il s’agit généralement de personnes fortement impliquées, qui ont jusque-là connu des parcours de réussite, mais qui à un moment opèrent une réorientation mal maîtrisée, se retrouvent face à des situations de stress inédites pour elles. Il existe évidemment des cas où la personne concernée souffre de pathologies, mais en grande majorité ce n’est pas le cas. Il s’agit plutôt de personnes absorbées par un rythme, une spirale qui les mènent au suicide ». On peut se demander si justement ces personnes n’étaient pas en partie à dominante « états limites / narcissiques » du fait de leur propension à entrer facilement dans le faire, le vivre les extrêmes pour se sentir exister…

Dans le même ordre d’idée on peut se demander si les personnes à dominante « état limite / narcissique », du fait du manque d’étayage de base et de leur tendance à adopter une position anaclitique à l’objet, n’auraient pas tendance du coup à adopter vis-à-vis de l’objet entreprise-parent symbolique (et pourquoi pas vis-à-vis de « l’objet travail ») ce même positionnement ? Ce qui irait dans le sens de l’hyper-adaptation à la société et de la chute qui peut être fatale s’ils se sentent lâchés…

Comment aider ces personnes par l’AF ? Et ces personnes ont-elles une demande ?  si c’est le cas, une approche par la parole n’est pas toujours facile du fait de leur difficulté à élaborer, là une approche par le corps pourrait s’avérer plus adaptée.

 

En ce qui concerne ce qui est dû à la personne, on a vu que les éléments étaient souvent mêlés.

Mais en conclusion on peut se rappeler de l’histoire du roi qui a demandé à son philosophe/historien de retracer l’histoire de l’homme. Chaque fois que celui-ci lui apportait son travail il trouvait que c’était trop long et lui demandait de raccourcir jusqu’à ce qu’il arrive à cet ultime synthèse : « Il souffre »

C’est donc le propre de l’homme de souffrir. Et n’y a-t-il pas nécessité d’une certaine souffrance pour exister ?

D’après certains ce que l’on sent en tout premier lieu lorsque l’on essaye d’identifier ses ressentis physiques, c’est souvent les douleurs… (cf. le plaisir des coureurs, des sportifs…)

Peut-on créer sans souffrance ?

On peut également s’interroger sur la transformation du terme de « labeur » (labourer la terre) en « travail » (qui désignait à l’origine la souffrance de l’accouchement) au fil du temps…

Par : Marie Cazès

Le : 5 décembre 2008