G.R.A.A.M.
Groupement de Recherche Appliquée sur l'Accompagnement des Managers

Les risques d’une autorité désincarnée au regard de certains besoins fondamentaux au travail

Intervention de Marie Cazès dans le cadre du séminaire « Et vous, comment ça va l’autorité ? » du 22 novembre 2017. (Fichier pdf téléchargeable en bas de page)

Jusqu’ici mes collègues ont eu pour propos de « définir l’autorité », de « qualifier l’autorité », essentiellement par rapport à la personne qui tient ce rôle d’autorité. Il a été question de ce que pouvait représenter l’autorité.

Je voudrais maintenant que nous nous placions du point de vue du fonctionnement de la personne au travail pour nous interroger sur la façon dont ceux qui tiennent cette place d’autorité entrent en jeu : quels rôles peuvent être attendus ou peut jouer celui qui incarne l’autorité ? Quels sont les éventuels besoins par rapport à l’autorité liés à la relation de chacun à son travail ?

Le fonctionnement des personnes dans leur relation au travail, c’est ce sur quoi nous travaillons au GRAAM depuis plus de quinze ans. Une des questions centrales de nos travaux est :  » qu’est-ce que signifie travailler pour chacun, pour le psychisme de chacun ? Les psychanalystes diraient : que signifie travailler d’un point de vue intrapsychique ?

Dans nos recherches, nous avons donc étudié particulièrement ce qui pouvait être déterminant dans la relation au travail au travers des différentes étapes de développement de l’enfant et de construction de l’appareil psychique, de la personnalité, de nos modes de fonctionnement.

Pour ma part, aujourd’hui, je focaliserai sur une étape du développement de l’enfant qui se situe approximativement entre 6 mois et 18 mois et plus spécifiquement sur le processus du jeu – décrit par Winnicott[1], grand psychanalyste anglais, mort dans les années 70 – qui se met en place à ce moment-là. Celui-ci va avoir une importance déterminante dans la construction du sujet, c’est à dire de la personne agissant, du sujet agissant, ce qu’on appelle le « self » ou le « soi ».

Et ce processus qui est vivant se poursuit tout particulièrement au travail. Nous allons voir qu’il va nous permettre d’expliquer certains constats assez courants que l’on observe quand on écoute les personnes parler de leur travail, comme par exemple :

–       Le besoin de se sentir utile au travail, de voir des résultats concrets de son travail, de laisser une trace, une empreinte, de construire quelque chose qui perdure et qui soit vu par les autres, qui existe dans le monde.

–       Le besoin d’être proche du terrain, de toucher ou de se confronter à la réalité concrète pour trouver des solutions, pour être créatif

–       Le besoin d’avoir une certaine marge de manœuvre dans ce que l’on fait

–       Et aussi le fait que les personnes présentent souvent leur métier comme une part de leur identité

Tout cela va s’éclairer quand je vais vous décrire le processus tout à l’heure.

Mon propos ici est d’appréhender d’une part comment chacun de nous fonctionne au travail en lien avec ce processus du jeu ; et d’autre part quels attentes ou besoins spécifiques par rapport à l’autorité pourraient en découler.

Au passage nous pourrons noter que les attentes vis-à-vis de l’autorité prendront des formes différentes en fonction de la construction du rapport à l’autorité de chacun. Car, comme nous l’avons vu au cours d’interventions précédentes, avoir à faire à l’autorité d’un autre – d’une personne physique ou morale qui peut être par exemple une institution ou une entité managériale (« le management », « la direction »,…) – d’un point de vue psychique est souvent associé à la représentation d’une fonction parentale, ou d’une figure parentale. La place de l’autorité est donc généralement investie d’un certain nombre de choses qui sont liées à notre mode de fonctionnement interne qui s’appuie sur notre histoire.

Le processus de jeu au travail

Voyons tout d’abord rapidement le fonctionnement du processus du jeu et comment cela se traduit au travail. Nous verrons dans une deuxième partie les liens entre ce processus et ce qui peut être attendu de l’autorité.

Pour faciliter la compréhension du processus et sa poursuite dans le cadre du travail, je l’ai modélisé en différents éléments.

En m’appuyant sur ce modèle, je vais décrire le fonctionnement du processus à la période du bébé avec sa traduction dans le travail et la façon dont il se rejoue, plus ou moins bien.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le processus du jeu entre 6 mois et 18 mois a un rôle majeur dans la construction du sujet, du « self », du soi.

Pendant les six premiers mois le bébé est assez proche de sa maman, il est assez collé à la mère, et il se construit surtout sa sécurité de base; mais à partir de six mois il commence à découvrir le monde, à appréhender le monde, à aller voir un peu autour ce qu’il se passe. C’est à ce moment-là que le processus de jeu commence à se mettre en place et voilà comment ça se passe.

Avant de commencer, il y a lieu de préciser la notion de jeu pour Winnicott. Il s’agit du jeu qui en anglais se dit « Play » et non « Game » ; il ne s’agit donc pas du jeu comme le Monopoly par exemple, du jeu avec des règles, où l’on gagne ou perd. Il s’agit du jeu au sens du jeu créatif, comme par exemple jouer avec de la pâte à modeler, avec du sable, jouer avec sa poupée, jouer avec des cubes, des choses comme ça.

Nous allons supposer maintenant que je suis le bébé et que je suis en train de jouer avec ce bout de tissu, ça pourrait être avec des légos comme sur le schéma.

Donc le bébé commence à jouer avec le morceau de tissu (ou les legos). Pourquoi fait-il ça ? Il joue parce qu’à ce moment-là, entre 6 mois et 18 mois, c’est le moment où le bébé va commencer à se séparer de sa mère, à découvrir le monde. Gérard Mendel[2], l’auteur qui a fait lien entre cette étape et le fonctionnement au travail, appelle cette étape, l’étape de la « Grande séparation ». Donc le bébé commence à découvrir le monde, mais le monde d’une certaine façon, ça fait peur.

Il faut comprendre que pour le bébé à cette période-là, la différence entre ce qui est à l’intérieur de lui et ce qui est à l’extérieur de lui n’est pas encore très claire. Il y a un espace entre lui et l’autre – l’autre étant la figure maternelle, celui ou celle qui fait fonction de mère – que Winnicott a nommé l’espace intermédiaire ou l’espace transitionnel, qui se situe donc entre lui et la figure maternelle, ni tout à fait dedans, ni tout à fait dehors ; et dans cet espace, il va jouer. J’ai renommé cet espace, « l’espace de jeu » pour nous permettre de faire la transposition avec le travail.

Dans le travail : l’espace de jeu ce sera la marge de manœuvre, que les personnes peuvent y trouver. Il doit être suffisamment large. Par exemple si on prend à l’inverse le cas des centres d’appel de niveau 1, c’est à dire avec un script très fermé, l’espace de jeu est très restreint, et ça va poser problème. On peut noter que cette notion rejoint le besoin d’écart suffisant entre le travail prescrit et le travail réel identifié par Christophe Dejours[3].

Revenons au bébé et à notre modèle, pour décrire les 3 dimensions que l’on va trouver dans l’espace de jeu.

Dans cet espace, qui est donc interne et externe à la fois, le bébé aura un peu l’impression, au travers du jeu, qu’il crée le monde, monde qui est alors moins dangereux que si c’était vraiment extérieur à lui, puisqu’il le crée.

Donc il va commencer à créer en touchant le tissu, et c’est important à noter, car il s’agit là de la dimension d’implication sensible du corps. Cette implication du corps est essentielle dans le processus pour la construction du soi.

Le bébé est donc dans une attitude de créativité, une posture créative, dans cet espace de jeu en étant confronté à la réalité matérielle du tissu (ou des légos).

Comment retrouve-t-on ces 3 dimensions au travail ?

a)    la confrontation à la réalité :

Tout d’abord la dimension de confrontation à la réalité permet de mieux comprendre pourquoi ce processus se rejoue ou se poursuit plus particulièrement au travail. En effet, la confrontation avec la réalité du monde prend place pour l’adulte plus spécifiquement au travail. Dans la sphère familiale ou dans le couple, chacun se situe dans un espace plus réduit, parfois plus fusionnel ou plus protégé et moins confronté au monde dans son ensemble.

Donc, dans le travail, on doit trouver, dans notre espace de jeu, un minimum de confrontation à la réalité. Celle-ci amène une certaine résistance et pousse à un certain effort en retour.

On comprend de ce fait pourquoi les personnes qui sont au placard et ne peuvent plus se confronter à la réalité dans leur travail, le vivent généralement mal.

b)    La créativité :

Dans cet espace on doit pouvoir agir de façon créative,ce qui va être poussé par la résistance de la réalité.

Nous retrouvons ici le besoin de laisser une trace, de laisser une empreinte sur le monde. Souvent les personnes qui parlent de leur travail disent : « oui, mais moi je voudrais être utile, je voudrais laisser quelque chose de moi, je voudrais que ça ait du sens par rapport à la société ».

On retrouve aussi, au travers de cette dimension, la notion de « métier » que beaucoup de sociologues mettent en avant.

c)    L’implication sensible du corps :

On devra donc pouvoir agir de façon créative avec une implication sensible du corps.

Cette dimension nous la retrouvons dans les témoignages du type : « Moi, je travaille avec l’intuition », ou « moi j’ai besoin de sentir le terrain pour savoir ce que j’ai à faire ». Il s’agit de cette nécessité de sentir les choses et d’être près du concret.

Cette nécessité est à rapprocher du besoin de sentir une certaine résistance de la réalité pour pouvoir être créatif, pour pouvoir justement laisser son empreinte sur le monde, que ce qu’on crée au sein de l’entreprise par exemple ait du sens, devienne une réalité palpable, visible.

Revenons au bébé et à notre modèle :

Pour clore le processus, on va supposer que Madame est ma mère. Elle va regarder ce que je suis en train de faire, ou elle va faire un commentaire par exemple et me regarder, et en voyant ce que j’ai fait, moi d’une certaine façon, je vais prendre conscience que ce que j’ai fait ça existe vraiment.

Le mouvement se fait comme en ricoché, c’est à dire qu’elle, la figure maternelle, va jouer une sorte de rôle de miroir, parce que dans son regard je vais voir que ce que j’ai fait ça existe vraiment et que du coup moi j’existe vraiment en tant que sujet qui ai fait ça : « C’est moi qui l’ai fait ».

Et à partir de ce moment-là le bébé va commencer à se sentir sujet de ce qu’il est en train de faire et donc sujet agissant : c’est ce que j’appelle « le sentiment de soi« .

Le retour de la mère c’est dans mon modèle ce que j’ai appelé « l’accusé de réception« .

Il faut noter que tout cela prend place dans un environnement sécurisant qui permette le jeu. Si l’enfant ne se sent pas suffisamment en sécurité il ne jouera pas.

Dans le travail, on va retrouver la nécessité d’un environnement (le cadre, l’organisation, le management, les collègues, etc.) qui tient un double rôle de contenant sécurisant d’une part et de renvoi d’un accusé de réception d’autre part.

Si l’environnement n’est pas suffisamment sécurisant, on ne peut pas se poser pour jouer ; C’est le cas dans les moments de grands changements, quand les changements sont permanents, quand il y a une pression énorme qui n’a pas de sens, en cas de conflits forts de valeurs, etc….

Pour ce qui est de l’accusé de réception, il s’agit d’un retour qui va confirmer que ce qu’on a fait existe vraiment dans l’entreprise ou dans le monde social en général; Au sein de l’organisation, il peut provenir de ses pairs ou/et justement de la hiérarchie.

Ces différents éléments vont donc permettre au sentiment de soi, au sentiment d’être « sujet agissant » de perdurer voire de continuer de se construire, de se consolider.

Processus de jeu et autorité

Voyons maintenant comment articuler ce processus au travail avec la question de l’autorité.

Je vous propose de reprendre pour cela les deux grandes fonctions de l’autorité, évoquées en introduction ce matin, que sont d’une part la fonction « d’autoriser » et d’autre part la fonction « de donner le cadre ».

Pour que le processus de jeu puisse se poursuive, chacun va donc essayer de trouver un espace de jeu. Si on ne le trouve pas dans l’entreprise on va le chercher ailleurs, au travers d’autres activités, car sinon on risque d’être en grande souffrance.

Mais, dans l’entreprise, pour que cet espace de jeu remplisse sa fonction, celui-ci doit être validé, accepté, en cohérence avec l’objet et les enjeux de l’entreprise. On retrouve ici la notion d’autoriser. Il s’agira d’autoriser d’abord cet espace de jeu, de façon singulière pour chacun.

Est-ce qu’en tant que manager j’autorise mon ou mes équipes et chaque personne individuellement, à avoir son espace de jeu, une marge de manœuvre suffisante ?

Il ne s’agit pas de mettre une règle de fonctionnement qui indique : voilà ça c’est ton poste pour faire ça et ça, comme une fiche de poste par exemple. Il est essentiel d’autoriser de façon incarnée, « en relation », dans un lien humain. Des aspects d’écoute, d’ambition partagée, etc.., sont nécessaires pour permettre que le degré de marge de manœuvre autorisé soit adapté à chacun, et prenne sens dans la relation et dans l’entreprise en partageant l’ambition par exemple.

Précisons que cette marge de manœuvre est, comme dirait Christophe Dejours, au-delà du travail prescrit, c’est-à-dire au-delà de ce qui est expressément prévu, au-delà des procédures.

L’espace de jeu autorisé par le management devrait alors permettre à chacun de développer son métier.

La deuxième grande fonction de l’autorité est de donner le cadre. Par rapport au processus de jeu, donner le cadre c’est d’une part donner des repères sur l’espace de jeu, des limites à l’espace de jeu ; Et c’est d’autre part, donner un appui et des repères qui permettent de clarifier l’environnement; parce que, comme je l’ai déjà évoqué, si l’environnement n’est pas suffisamment sécurisant, on ne va pas pouvoir mettre en place l’espace de jeu.

Par ailleurs, une autre attente est à ajouter vis-à-vis de l’autorité pour tenir compte de la dimension d’accusé de réception dont nous avons vu la nécessité pour que le processus fonctionne. Cette nouvelle fonction d’accusé de réception nécessite également d’être mise en place « en relation », de façon incarnée.

Si l’on travaille dans une entreprise, par exemple, on attendra aussi de la hiérarchie et des personnes qui incarnent l’autorité qu’ils donnent un accusé de réception pour dire : « Oui, ce que tu as fait ça existe bien dans l’entreprise, ça sert à quelque chose et donc tu existes ».

En synthèse on attend de l’autorité d’une part d’autoriser, on pourrait dire donc d’ouvrir des espaces et d’autre part d’en donner les limites, les bords, un contenant, et l’accusé de réception va venir en quelque sorte y rebondir (ce qui pourrait être illustré en inversé par l’expression « j’ai l’impression de prêcher dans le désert »). Le tout devant se faire de façon incarnée, en relation.

Illustration par un exemple d’accompagnement

Pour illustrer mon propos, voici un exemple d’une personne que j’ai accompagnée, son nom a bien sûr été changé et les éléments suffisamment anonymisés pour qu’on ne reconnaisse pas la personne et l’entreprise :

Lucile vient me voir parce qu’elle est arrêtée depuis un mois suite à un problème de dos. Elle me dit : « mon corps s’est arrêté, je ne pouvais plus bouger ». Elle est en état d’épuisement total. Elle n’arrive pas à remonter la pente et ne comprend pas pourquoi. Elle se sent incapable de retourner au travail et pleure beaucoup.

Nous sommes face à un cas assez classique de « burnout ». Au fil de son récit, j’ai d’autres éléments qui confirment le « burnout » car depuis plusieurs années sa charge de travail a augmenté progressivement, elle a pris du poids, elle a eu quelques alertes physiques de type palpitations, nausées, chutes – elle est tombée dans la rue, etc. Mais elle a mis tout cela de côté et a continué.

Le travail d’accompagnement nous permet d’identifier ensemble une imbrication classique entre des éléments qui viennent du fonctionnement de l’entreprise et de l’autorité en particulier et des éléments qui viennent d’elle et de son histoire.

Le travail, dans le cadre d’un accompagnement fondamental© consiste à désintriquer ces différents éléments pour mieux identifier ce qu’elle a pu générer elle-même et ce qui vient effectivement de l’entreprise, sachant que la réponse de l’entreprise à son égard peut aussi être liée à son attitude, son mode de relations à l’autre. Cela lui permettra entre autres par la suite de prendre plus facilement du recul sur ce qui se joue dans l’entreprise et d’être en capacité d’avoir une réflexion ou une stratégie par rapport à cela et de mieux pouvoir se positionner.

Nous travaillons donc sur les schémas, les répétitions ou les revécus liées à sa propre histoire qui peuvent amener à certains comportements ou certains ressentis, pour l’aider à en prendre conscience et éviter qu’ils ne se reproduisent – ou en tous cas pour lui permettre d’être à l’affut si c’est le cas – et pour lui faciliter une analyse plus distanciée.

Je ne vais pas entrer dans tout le détail de cet accompagnement, mais en synthèse on peut retrouver des éléments décrits tout à l’heure dans notre modèle et ses interactions avec ce qui fait fonction d’autorité dans l’entreprise et pour elle-même.

On est tout d’abord en présence dans ce cas d’un espace de jeu sans frontières.

La fonction de « donner le cadre » semble défaillante.

De son côté, elle accepte d’en rajouter sans cesse et même si elle alerte, elle accepte quand même.

Cette attitude fait écho à sa propre histoire et en particulier à une mère qui ne la regarde pas du tout, qui est très absente et avec qui elle a vécu, depuis toute petite, dans l’impression qu’il fallait toujours en faire plus pour pouvoir être regardée, pour être « aimable », pour ne pas avoir à se reprocher de ne pas en avoir fait assez.

Son père a pu jouer un rôle d’appui mais seulement assez tardivement. Elle évoquera une période antérieure de son histoire professionnelle où ça fonctionnait bien, et où elle avait des hiérarchiques « hommes » qui semblaient jouer pour elle ce même rôle d’appui mais qu’elle ne retrouve pas dans le contexte actuel.

Ce qui est intéressant ici, dans le symptôme, c’est que le jour où son dos a lâché, c’est-à-dire son appui, sa verticalité, le jour où elle s’est effondrée, était le jour de l’anniversaire de son père.

Pour revenir à notre modèle, on peut identifier également dans ce cas, un environnement peu sécurisant avec un manque de repères.

Lucile a évoqué un certain nombre d’éléments qui vont dans ce sens : de nombreux changements d’organisation, son rôle et son statut qui ne sont pas clairs, etc…

Nous avons également noté une demande répétée d’accusé de réception sans jamais qu’il y ait de retour clair sur son rôle, sur sa place dans l’entreprise et pour lui permettre d’être sûre que « ce qu’elle fait existe vraiment ».

Elle évoque aussi des épisodes où elle a l’impression que même ses « créations » – si l’on se réfère à l’élément autour de la créativité, l’empreinte laissée sur le monde de notre modèle – ne se voient pas ou sont vouées à disparaître :par exemple une entité qu’elle a co-construite est remise en cause par la nouvelle organisation.

En synthèse, nous pouvons donc voir dans cet exemple une grande partie des éléments du processus de jeu qui sont mis à mal, soit de son fait en lien avec son histoire, soit du fait de l’entreprise et d’une autorité qui autorise presque trop, pourrait-on dire, mais qui ne donne pas suffisamment de cadre et qui n’est pas spécialement non plus en relation pour donner les accusés de réception dont elle a besoin.

Conclusion :

Pour rassembler un peu les idées et faire une synthèse de tout ce que nous avons dit.

Nous avons vu d’une part, le processus de jeu décrit par Winnicott qui reste vivant toute la vie et particulièrement au travail, dont la fonction essentielle est de permettre au sentiment de soi de se construire, de se consolider et de perdurer.

D’autre part, dans l’organisation la façon d’occuper la place d’autorité joue un rôle essentiel pour faciliter plus ou moins, préserver le fonctionnement de ce processus, avec 3 éléments facilitants que sont :

–       Tout d’abord, un environnement incarné et sécurisant qui tienne, sur qui on peut compter, et que l’on retrouve dans la fonction de « donner le cadre ».

–       Le deuxième élément est d’autoriser chacun à avoir son espace de jeu, ce qui nécessite une écoute singulière de la part des managers. Par voie de conséquence cela leur demande d’être capables d’adapter l’espace de jeu de façon dynamique et évolutive en tenant compte d’un côté de l’environnement, des contraintes diverses de l’entreprise, du marché, de la stratégie de l’organisation etc., et de l’autre côté des particularités de chacun (facilités, besoins, compétences, motivations, etc.).

–       En troisième lieu un rôle dévolu en particulier aux managers, et à l’organisation en général, d’accusé de réception qui doit absolument être tenu.

 

Pour conclure, on peut penser qu’aujourd’hui, dans un contexte où les repères sont de plus en plus mouvants à tous les niveaux, et particulièrement dans les entreprises qui sont en proie à des changements permanents, (changements de structure, changement de métiers, changement de règles de fonctionnement etc.) ;  si il vient s’ajouter à cela une défaillance de l’occupation de la place de l’autorité et cela de façon incarnée, alors on augmente notablement le niveau des risques psychosociaux parce que le processus du jeu-créatif tel que nous l’avons explicité a de fortes chances d’être mis à mal. Les conséquences pour la santé psychique des personnes peuvent être graves ; on peut voir apparaitre des désorganisations psychiques, des burnouts comme dans le cas cité, et parfois même une atteinte du sentiment identitaire voire du sentiment d’existence.

Et pour aller plus loin on peut se demander comment prendre davantage en compte ce processus dans les entreprises, car cette dimension du fonctionnement de chacun n’est en général pas connue.

D’autre part, faudrait-il réinventer une nouvelle façon d’incarner l’autorité qui allierait davantage une part de fonction paternelle et une part de fonction maternelle ? En effet, le rôle de « donner le cadre » se retrouve plutôt dans la fonction paternelle. Par ailleurs les rôles d’ « accusé de réception », d’« écoute » et d’« autorisation de l’espace de jeu » ramènent davantage du côté du féminin, de la fonction maternelle, et même si, bien sûr, la notion d’autoriser était déjà incluse de fait dans la définition de l’autorité.

Merci de votre écoute, et de m’avoir permis de poser une trace de mon travail dans le monde social….

 

[1] Winnicott D.W. : « Jeu et réalité – l’espace potentiel » – NRF – Ed° Gallimard – 1971, 1975 (traduction)

[2] Gérard Mendel : « L’acte est une aventure – du sujet métaphysique au sujet de l’actepouvoir » – Ed° la découverte – 1998

[3] Christophe Dejours : « Travail vivant – 1 : sexualité et travail » – Ed° Payot – 2009

Par : Marie Cazès

Le : 7 décembre 2017