Intervention de Marie Cazès dans le cadre du séminaire : « Quand ça rate au travail » du G.R.A.A.M. du 16 mars 2010

La paresse : recherche de repères psychanalytiques autour d’une notion comportementale voire morale, à partir d’une étude de cas

Paresse (définition du Robert) : goût pour l’oisiveté ; comportement de celui qui évite l’effort. Paresse par défaut d’énergie, de volonté.

Le terme de paresse dans notre culture est utilisé généralement avec une connotation négative en désignant l’autre. C’est l’autre qui est paresseux. C’est un jugement de valeur. C’est d’ailleurs l’un des 7 péchés capitaux, le seul qui concerne directement le travail…

Même lorsque l’on se qualifie de paresseux soi-même (à la différence de l’oisif), c’est généralement de la place de l’autre qu’on le fait, c’est le surmoi qui parle, ou si l’on trouve une certaine jouissance à se qualifier comme tel (le droit à la paresse), c’est tout de même, soit en se positionnant en opposition au jugement de l’autre, soit en le narguant. (« je suis paresseux et fier de l’être, et je vous emm… »).

 

Dans la qualification courante de la paresse nous pouvons, en première analyse « comportementale », identifier 3 types de difficultés :

  • la difficulté à se mettre au travail, à commencer quelque chose,
  • la difficulté à travailler de façon prolongée
  • la difficulté à terminer quelque chose

Nous essayerons, au travers d’une étude de cas, d’identifier à quoi pourrait renvoyer le 1er type de difficulté, si on essaye de l’entendre d’un point de vue psychanalytique ;

Ce type d’analyse pouvant s’apparenter à essayer d’identifier ce qui se cache derrière un symptôme, l’on se doute que l’on pourra y trouver une grande quantité de possibilités. Notre étude de cas est donc à entendre comme un exemple d’analyse à partir d’un symptôme de la personne au travail que serait la paresse plutôt que comme la recherche d’une analyse exhaustive des dessous de celle-ci.

De la même façon pour les 2 autres types de difficultés on pourrait au travers de cas analyser les dessous de ce symptôme. On trouverait peut-être des choses comme :

  • pour la difficulté à travailler de façon prolongée : un phénomène inverse au « fantasme du labeur » ; un manque d’investissement de l’objet « travail » ; un manque d’élan vital ou une excitation difficile à contenir et qui empêcherait une longue concentration (un peu comme un éjaculateur précoce)…
  • Pour la difficulté à terminer quelque chose : une angoisse de mort si présente qu’elle empêcherait de finir quoi que ce soit ; ou une angoisse autour de « finir ça fait jouir » voire une excitation/jouissance à repousser le moment de la fin ; un idéal du moi trop élevé : on ne pourrait finir, de peur d’être déçu d’un résultat en deçà de celui attendu (en lien avec une importante faille narcissique); un surmoi trop important pouvant avoir un effet similaire ; un fonctionnement obsessionnel (nécessité de perfection) avec parfois une jouissance à prendre l’autre en otage (celui qui pourrait attendre le résultat du travail)…

Revenons à notre 1er type de difficulté du paresseux à savoir la difficulté à se mettre au travail.

Je vous propose de partager une étude de cas pour illustrer cette difficulté.

Julie se plaint de sa difficulté à se mettre au travail et des angoisses qui accompagnent cette difficulté.

Elle rapporte le rêve que voici :

« Je dois jouer de la flûte en soliste avec un orchestre dans le cadre d’un concert. Je suis dans la salle, cela va bientôt être à moi et je me rends compte que j’ai oublié ma flûte et mes partitions à la maison…angoisse ».

Ce rêve lui fait penser à un autre rêve qu’elle a fait il y a quelques années : « Je suis sur scène pour un spectacle de théâtre et je ne sais plus du tout ce que je dois jouer…Je crie au public de ne pas partir ».

Après analyse des rêves et approfondissement de quelques situations où apparaissent ou non ses difficultés et ses angoisses, différents éléments sont mis à jour :

1 – une évaluation préalable des tâches à réaliser qui apparaissent comme « insurmontables » :

« Je n’y arriverai pas » avec une sensation physique associée proche de la chute.

  • On peut s’interroger sur la dimension masochiste à faire durer l’angoisse, puisque généralement une fois la tâche commencée, celle-ci s’avère finalement, presque toujours, facilement surmontable.
  • La sensation de chute peut évoquer un manque de holding (cf. Winnicott), en liaison avec le point que nous verrons juste après,
  • Mais après approfondissement, l’angoisse ressentie pourrait également se rapprocher d’une angoisse de perte (comme on la trouve chez les états limites) ou de castration. Dans le rêve il y a perte de la flûte (perte du phallus), de la partition ou de la mémoire (de la connaissance voire de l’identité).
  • L’angoisse est même parfois associée à une sensation de quasi délitescence (Julie évoque des rêves de pertes de ses chaussures, des angoisses de vol, la peur de ne pas tout retrouver après un déménagement, la difficulté à changer de type de tenue ou de bijoux comme pour garder la même enveloppe)… mais ces associations ne sont-elles pas là pour nous détourner… par une résistance qui consisterait à nous emmener sur le terrain archaïque quand il s’agit de l’oedipe… ? La plupart des cas rapportés peuvent en effet également se comprendre dans le cadre de traits obsessionnels. Dans le cas de Julie ce vécu pourrait aussi être associé à une angoisse de mort très présente dans l’histoire familiale (à la fois du côté paternel et maternel).

2 – un besoin d’enveloppement, de soutien.

Ceux-ci semblent faciliter le fait de « s’y mettre ». Là encore Julie essaye-t-elle de nous emmener du côté de l’archaïque ? Est-ce un besoin de soutien ou le regard de l’autre qui est recherché, dans un fonctionnement hystérique « classique », ce que semble plutôt indiquer le 2ème rêve.

Mais peut-être est-ce un mélange des deux. Sur ce point on peut se référer à l’article de Mazud Kahn : « La rancune de l’hystérique » où il indique que les défaillances du holding déclenchent deux types de réactions :

  • une menace pour la cohésion du moi naissant
  • un développement sexuel précoce où prédominent les fantasmes prégénitaux (le sexuel n’est pas à la bonne place)

Le troisième élément identifié après approfondissement de l’analyse permet de relier les deux précédents éléments :

3 – l’identification de deux forces contraires :

  • un désir quasi « exhibitionniste » de se mettre en valeur, que l’on peut rapprocher du besoin de soutien ou du regard de l’autre que l’on a vu précédemment ;
  • contrarié par des interdits parentaux (vécu de honte, d’indécence…) ainsi que, peut-être, une transmission inconsciente de l’idée que l’on a plus de chances de rester vivant en restant discret; et par un sentiment de vide, de manque que l’on pourrait rattacher à l’angoisse de perte (ou de castration) identifiée plus haut.

Julie comprend alors sa facilité à faire quand il ne s’agit pas de se montrer, dans les tâches qui ne sont pas considérées par elle comme implicantes (ex : tâches de secrétariat) mais qui en même temps ne lui apportent pas de satisfaction, bien évidemment. Elle fait également le lien avec l’énorme angoisse qu’elle vit avant chaque intervention face à un groupe.

Pour mieux comprendre ce qui se joue peut-être dans ce cas, on peut se référer à deux extraits issus du Manuel de psychologie et de psychopathologie de René Roussillon et A.  Ciccone qui concernent l’exhibitionnisme du stade phallique et certaines difficultés de l’adolescence qui semblent faire écho à notre cas :

Tout d’abord (chapitre 8 – § 4.2. : organisation phallique et voyeurisme/exhibitionnisme – p.153 – Ed° Masson 2007) :

« L’enfant phallique ne questionne pas seulement le monde à partir de son désir de voir, à partir de sa curiosité exprimée à partir du regard ou de la formulation de ses questions et intérêts. Il interroge aussi à partir de sa manière de « montrer », de « se » montrer, à partir du regard de l’autre, d’une interrogation sur la réaction de l’autre, la réponse de l’autre, à ses exhibitions et ses démonstrations.  Se montrer, faire en sorte que l’autre, l’autre significatif – la mère, le père – regarde ce qu’il produit, la dernière conquête de sa motricité, de son intégration subjective, n’est pas qu’affirmation fière de soi. Quand les enfants phalliques montrent, ils interrogent l’autre à partir de cette exhibition, questionnent le regard de l’autre, cherchent à se réfléchir dans le regard de l’autre, par le regard de l’autre. L’exhibition n’est pas qu’assertive, c’est toujours aussi une forme de question, laquelle puise dans la réaction de l’autre matière à réponse. Si l’exhibition contient une forme de : « Regarde, je l’ai, j’en suis fier, je suis « phallique », complet », c’est avec une question, l’attente d’une confirmation, d’une reconnaissance, d’une accréditation. L’enfant phallique dépend du regard de ses parents ; c’est de celui-ci qu’il attend fierté ou qu’il redoute rejet et honte, menace de « castration ».

Puis (chapitre 11 : L’adolescence et ses crises – article de A. Ciccone p.221 – Ed° Masson 2007) :

« L’adolescent voit s’affirmer un besoin de lutter contre la perte de contrôle, contre la passivité (l’attente par rapport aux adultes, par rapport aux changements de statut social). Il est envahi par des craintes d’être débordé, de perdre le contrôle…La sexualisation de la soumission passive déclenchera des affects de honte, qui persécutent le sujet, avec une impossibilité de se retrouver au centre d’une scène, sous le regard de l’autre, des peurs de rougir, etc. Ces affects pourront être traités par un retournement de la situation dans des conduites d’exhibition phalliques. Le contrôle de ces craintes de débordement pourra également être assuré par l’obsessionnalité. »

On peut rapprocher cette dernière analyse de ce que l’on peut voir chez des sujets qui ont un vécu de défaillance de la fonction paternelle. Le ressenti de défaillance paternelle peut amener une crainte de fusion (avec une peur de se perdre dans un no man’s land) ou de possible exhibition. Le sujet peut alors développer une réaction obsessionnelle pour augmenter la fonction paternelle et se défendre de ces risques.

On peut ainsi boucler notre analyse en faisant le lien avec la notion de dette paternelle développée par Roland Guinchard dans le cadre du désir de travail.

En conclusion, il semble assez difficile d’imaginer a priori, comme nous nous en doutions, toutes les origines possibles de ce que l’on appelle communément la paresse, mais son analyse semble pouvoir nous mener assez loin. Qui aurait, a priori vu une question autour de l’exhibitionnisme à partir de la question de la paresse ?

Par : Marie Cazès

Le : 16 mars 2010